Qu’est-ce qui se joue lors des premières séances d’une thérapie? Cette question est immense et peut être analysée de bien des façons. Nous chercherons dans cet article à la penser par analogie avec les rites de passage.
Les cinq clefs de l’entrée en thérapie
Dans Construire la Relation thérapeutique, rédigé avec Pierre Gaudriault, nous avions pensé l’entrée dans la thérapie à travers cinq dimensions principales:
- La demande
- L’alliance
- Le transfert et le contre-transfert
- La temporalité
- Le cadre
Ces différentes questions feront l’objet d’articles spécifiques. Je mettrai les liens au fur et à mesure qu’ils sont publiés.
Elles peuvent être vues comme cinq clefs qu’il faudrait tourner pour déverrouiller une porte imaginaire menant à la thérapie.
La métaphore des clefs et de la porte renvoie à un modèle général de processus psychique assimilé à un passage d’un lieu à un autre, d’une ouverture et d’un point d’accès à un nouvel espace de représentation de soi. Il n’est pas rare que les patients s’exprime de cette façon : « je voudrais trouver les clefs d’une nouvelle façon de vivre… » ou encore « montrez-moi la voie par laquelle je peux progresser… »
Entrée en thérapie et rites de passages
L’image du passage permet de tendre un pont entre la psychothérapie et les rites de passage qui ponctuent, dans les sociétés traditionnelles, l’histoire d’un individu, lui permettant de passer d’une étape de sa vie à une autre.
Les rituels initiatiques sont innombrables et concernent notamment l’accession aux prérogatives des adultes et l’intégration dans un clan. Ils ont été souvent décrits depuis leur formalisation par Van Gennep en 1909. Il s’agit de cérémonies mises en place par le clan pour célébrer la grossesse et l’accouchement, la naissance, la puberté sociale, le mariage, les funérailles conçus comme des seuils d’un monde nouveau auquel l’individu accède ainsi. Ce passage initiatique est aussi bien une renaissance dans un mouvement de désagrégation du monde antérieur et de réagrégation vers un monde postérieur ; il s’exprime souvent rituellement par le franchissement d’un portique ou le parcours d’un chemin qui débouche sur ce nouveau monde (Goguel d’Allondans, 2002).
Bien qu’elles se situent dans un contexte culturel et social radicalement différent de ces sociétés traditionnelles, les psychothérapies actuelles pourraient être comprises comme des équivalents de ces rituels disparus pour aider certains individus à accéder à leur maturité.
La continuité entre les pratiques magico-religieuses et les psychothérapies a été soulignée par M. Eliade (cité par Grosbois, 2008). Le rapport de la psychothérapie avec ces pratiques serait alors celui d’une transformation de l’identité, de l’accès à une forme plus accomplie de soi-même.
Le langage des oiseaux, d’Attar:
Un récit initiatique
Pour illustrer cette comparaison, référons-nous au Langage des oiseaux de Attar, un des récits initiatiques les plus célèbres de la littérature soufie. Cette histoire raconte comment les oiseaux se réunissent un jour, sous la direction de la huppe, pour partir à la recherche de l’oiseau-roi Simorg.
La huppe est capable de leur montrer la voie spirituelle qui conduit au Simorg, parce qu’elle a sur la tête « la couronne de la vérité ». Elle exhorte les autres oiseaux à « placer le pied sur ce chemin, pour poser ensuite le front sur le seuil de la porte de ce roi ». Tous sont impatients d’aller vers lui, font leur projet de départ, veulent aller de l’avant. « Mais comme la route était longue et lointaine, chacun d’eux néanmoins était inquiet au moment de s’y engager et donna une excuse différente pour s’en dispenser, malgré la bonne volonté qu’il paraissait avoir ».
Le rossignol, la perruche, le paon, le canard, la perdrix, etc., beaucoup se désistent, chacun a de bonnes raisons de rester chez lui. La bergeronnette, par exemple, se croit trop faible pour un tel voyage : « je suis frêle comme un cheveu, je n’ai pas la force d’une fourmi, je n’ai ni duvet ni plumes, rien enfin. Comment parvenir auprès du noble Simorg ? » Un autre s’exprime ainsi : « Je suis mon propre ennemi ; comment m’aventurer dans ce chemin, puisque j’ai avec moi le voleur qui doit m’arrêter ? Mon âme concupiscente, mon âme de chien ne veut pas se soumettre ; je ne sais même comment en sauver mon âme spirituelle… » Or on s’aperçoit peu à peu que certaines excuses sont formulées sous la forme d’une demande à la huppe : « Si je n’étais pas aussi triste, dit un autre oiseau, mon cœur serait charmé de ce voyage ; mais comme mon cœur est plein de sang, que ferais-je ? Je t’ai exposé mon état, que dois-je faire maintenant ? » Le refus initial de beaucoup d’oiseaux paraît se transformer, chez certains, en imploration envers la huppe pour qu’elle remplisse auprès d’eux sa mission de guide vers le Simorg : « puisque tu as la hardiesse nécessaire, parle, répands les perles du sens et dit les secrets ».
Enfin un petit groupe d’oiseaux se met en route avec la huppe. Ils traversent sept vallées périlleuses, qui sont autant d’épreuves initiatiques et symboliques. Seulement trente oiseaux réussissent à parcourir tout le chemin et parvenir au but. Ils sont abattus, fatigués, « le cœur brisé, l’âme affaissée, le corps abîmé ». Ils sont d’abord déçus, craignant de ne pas obtenir ce qu’ils espéraient jusqu’à ce que « le temps opportun » survienne.
Les trente oiseaux (sî morg) découvrent alors ce qu’est le Simorg spirituel : « Lorsqu’ils regardaient du côté du Simorg ils voyaient que c’était bien le Simorg qui était à cet endroit, et s’ils portaient leur regard vers eux-mêmes, ils voyaient qu’eux-mêmes étaient le Simorg. Enfin s’ils regardaient à la fois des deux côtés, ils s’assuraient qu’eux et le Simorg ne formaient en réalité qu’un seul être. » Le Simorg leur dit ceci : « Le soleil de ma majesté est un miroir ; celui qui vient s’y voit dedans, il y voit son âme et son corps, il s’y voit tout entier. Puisque vous êtes venus ici trente oiseaux, vous trouverez trente oiseaux dans ce miroir.»
Quête de soi et psychothérapie
Le langage des oiseaux est bien un mythe de la quête de soi. Si l’on met à part sa dimension spirituelle, on y retrouve l’enjeu d’une démarche difficile, semée d’embûches et de reculades qui sont autant de d’occasion de drop-out que nous avons vus si fréquents dans les psychothérapies.
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Ainsi le modèle du passage et la métaphore des clés qui y donnent accès pourraient être appliqués à la psychothérapie conçue alors comme une forme moderne d’initiation à la révélation de soi-même. Les psychothérapies actuelles pourraient faire partie des rituels de la post-modernité dans laquelle Lipovetsky a situé l’homo psychologicus avide de connaissance sur soi. La filiation avec les rites de passage a explicitement été reconnue, par exemple, pour la thérapie systémique (Dessoy, 1997) ou l’onirothérapie d’intégration (Grosbois, 2008). Grosbois va jusqu’à rapprocher l’adhésion subjective des partenaires de la thérapie aux croyances collectives envers ces rites.
La psychothérapie: un rite de passage dans une société sans rites ?
Une des singularités de nos sociétés est d’avoir renoncé à beaucoup de codes qui régissaient les rapports sociaux et interindividuels et notamment ceux qui tentent d’apaiser les situations de crise. Les individus livrés à eux-mêmes et déconcertés par les grandes étapes de leur vie se tournent alors vers un psychothérapeute (Fellous, 2001).
Or la multiplicité des formes de psychothérapies actuellement va de pair avec l’explosion des modes relationnels qui fait que chacun ne se repère pas dans celui d’un autre mais prétend trouver le sien en particulier.
Comme l’écrit Ternynck en 2011 :
« La nécessité culturelle de porter seul sa trajectoire de vie est d’une telle force qu’elle engage chacun à nouer un pacte avec lui-même, pacte exigeant, indestructible, au regard duquel les relations à autrui peuvent, dans un certain nombre de cas, se subordonner ou se réduire au contractuel. »
Dans cette perspective, il n’est guère question que la psychothérapie soit entreprise dans un projet d’intégration en commun dans un même milieu comme le faisaient autrefois les rituels collectifs. Il s’agit plutôt d’aller, le plus souvent, vers une découverte de soi. C’est du moins le projet de personnes qui possèdent déjà assez d’attaches adaptatives pour ne pas en éprouver le manque du collectif.
Ainsi les méthodes thérapeutiques classiques risquent d’être considérées comme insuffisantes pour tenir compte de la singularité absolue de chaque cas qui nécessiterait au contraire une solution exceptionnelle à une souffrance exceptionnelle. Le roman Thérapie de D. Lodge (1995) donne une illustration plaisante de cette exigence : le héros, qui met sa douleur psychique dans son genou, met en échec toutes les thérapies mais finit se soigner lui-même en retrouvant son amour de jeunesse sur le chemin du pèlerinage de Compostelle.
Conclusion : La thérapie, un rite de passage intime?
Les données sociétales actuelles impliquent sans doute de concevoir nos cinq dimensions de l’entrée en psychothérapie comme des ouvertures conceptuelles nouvelles pour l’évolution d’un individu par rapport à celles données par le modèle traditionnel du rituel de passage. Elles mettent l’accent notamment sur la singularité de la relation thérapeute-patient dans le processus évolutif qui paraît jouer un rôle plus important que l’intégration dans un groupe ou dans un clan comme c’était le cas dans ces rites traditionnels.
Les oiseaux d’Attar font un voyage collectif et ceux qui parviennent au but vont trouver leur propre reflet tous ensemble. Même les thérapies de groupe qui sont pratiquées aujourd’hui ne visent pas à donner des solutions collectives à leurs participants mais bien une réponse au problème de chacun. Il s’agit donc de rechercher une évolution personnelle qui pourrait être décrite comme une progression dans la relation psychothérapique suivant certains stades de développement.
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