Présentation de la pensée psychanalytique de Wilfred Bion

La théorie de Wilfred Bion est assez fascinante. Elle porte sur la genèse de l’appareil psychique, et l’assimilation du monde extérieur. On peut ainsi dire en gros, qu’elle s’étaye, qu’elle s’appuie, sur l’appareil digestif : on avale des expériences, et on en recrache certaines.

Le deuxième point fondamental de sa théorisation, c’est l’importance de l’autre, de l’objet externe, dans cette métabolisation du monde. C’est ce que nous allons rapidement survoler.

Wilfred Bion face à la mer

Remarque:

Cet article appartient a une série d’article publiés sur le site Philautarchie aujourd’hui fermé. Ces articles n’étant plus disponible sur le net, je me suis permis d’en présenter certains. N’hésitez pas à consulter un article que j’avais rédigé en 2008 à ce sujet sur Paradoxa et à consulter le forum Digression qui est en quelque sorte le continuateur de Philautarchie.

Article mis à jour le 20/04/2020

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Présentation de la pensée de Bion: Éléments alpha, éléments bêta et fonction alpha

La fonction alpha est ce processus de mentalisation du monde. C’est le processus qui permet de faire de la pensée, de passer de l’expérience sensorielle, à la forme mentale de cette expérience. Bion déploie la conceptualisation suivante :

1 – Il y a des éléments qui peuvent être appréhendés par le sujet, tel des phénomènes (au sens que lui confère Kant). Ces éléments sont dit « éléments-alpha ».

2 – Il y a des éléments qui ne sont pas appréhendables, qui conservent une valeur de chose en soi, mais qui continuent cependant de travailler mon expérience du monde. Ce sont des « éléments-bêta »

Les éléments-bêta sont des impressions de sens, et les éléments-alpha sont des éléments de pensées. C’est une délimitation assez classique, mais toute l’originalité de Bion est de penser la transformation du bêta en alpha.

Cette transformation se fait par la fonction alpha. Une fois que le sujet possède cette fonction, il peut à loisir effectuer ce travail de transformation. Mais cette fonction n’est pas innée, elle s’acquiert… Nous y reviendrons plus tard, parlons à présent du non-transformé.

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Terreur sans nom

Ce qui n’a pas pu être psychisé par la fonction alpha va conserver un statut d’indicible, d’irreprésentable. Les éléments-béta sont toxiques pour la psyché, font souffrir sans que l’on sache de quoi on souffre. Ils envahissent la psyché, la détruisent lentement.

Ces éléments sont terrifiants, car ils n’ont pas de nom. Pouvoir nommer une douleur, c’est déjà avoir la capacité à y faire face. Être dans l’incapacité à faire face à cette terreur sans nom, c’est franchement plus redoutable. C’est un peu comme chez Lovecraft, les démons rendent fou, car de par leur forme, ils dépassent l’entendement. Voir ces choses équivaut à l’explosion de sa psyché.

Mais il existe un processus qui va permettre de pouvoir gérer ces éléments indicibles.

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L’évacuation ou la projection dans la pensée de W.R.Bion

Tout comme pour l’appareil digestif, ce qui n’est pas digérable va être rejeté, vomi dans l’environnement. C’est un processus vital. Freud avait identifié dans son analyse du Président Schreber un processus qu’il a nommé projection. Il existerait ainsi une capacité à vomir du psychique. Une représentation que l’on n’oserait pas attribuer à soi-même (ex: je le déteste), va être projetée sur quelqu’un d’autre (c’est lui qui me déteste). C’est une illusion bien sûr, illusion qui consiste à attribuer à l’autre ce qui vient en réalité de soi. Un phénomène que l’on perçoit plus facilement à l’adolescence mais qui existe à tous les âges et chez tous les humains.

Mélanie Klein développera le concept d’identification projective. Dans la projection, on jette dans un coin et on en parle plus. Dans l’identification projective, l’irreprésentable est tellement douloureux qu’il faut rester en lien, de manière symbiotique, avec la personne chez qui on identifie cette motion pulsionnelle. C’est un processus pathologique selon sa fréquence d’utilisation.On a vu que les éléments Bêta intoxiquaient la psyché, car ils étaient indicibles. Si ils restent, ils détruisent tout. Alors, il faut les évacuer, les projeter. Par l’identification projective, le sujet évacue dans l’autre les éléments-bêta qu’ils ne peut contenir (le terme est important) dans sa psyché. Ce sera à l’autre de contenir. On pourrait même dire qu’il est demandé à l’autre de contenir. Doucement nous nous échappons du solipsisme pour reconnaître la place de l’autre dans le maintien de la vie psychique.

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La rêverie

Nous avons précédemment dit que Mélanie Klein faisait de l’identification projective un processus pathologique selon sa fréquence. Bion lui, identifiera une identification projective normale dans tout développement.

Le bébé vient au monde, il est assailli par des sensations, des choses terribles, telle la faim par exemple. Ces expériences, il ne peut les contenir en raison de l’immaturité de son appareil psychique, il ne peut en faire du alpha. Alors, ce sera à l’autre de contenir ces éléments.

La mère viendra recevoir l’identification projective, et par sa capacité de rêverie, elle pensera ces sensations pour lui, pour qu’il puisse les reprendre secondairement. C’est comme chez les moineaux, chez qui la mère machouille déjà la nourriture avant d’en faire la becquer. Devant une expérience de faim, véritable fin du monde, la mère va venir tempérer cette explosion, de par ses paroles. « Ho, mais tu as faim, tu veux manger ». Elle donne du sens à ses éprouvés corporel, elle les « psychise ». Si elle lui change sa couche à la place, ça psychise mal. La mère doit ainsi déployer une certaine fonction d’accordage (Stern) ou de miroir (Winnicott), mais c’est en temps normal un phénomène tout naturel.

L’appareil psychique de l’enfant grandissant dans un certain environnement sécurisé, il va voir la fonction alpha de la mère apparaître au dedans de lui. Il pourra lui-même se mettre à métaboliser peu à peu l’expérience. Ce retournement de dehors vers le dedans, c’est l’introjection, processus inauguré par Ferenczi.

Mais bien sûr, on ne psychise jamais tout seul. Toute la vie, l’autre reste indispensable dans ce travail de symbolisation. Un appareil psychique ne peut jamais transformer toujours tout seul l’expérience. On peut ainsi entrevoir la place de l’autre dans le processus thérapeutique.

 

Wilfred Bion: archive vidéo

Pour ceux qui parlent anglais, une vidéo d’archive de Wilfred Bion s’exprimant à la Tavistock Clinic. C’est à ma connaissance la seule archive vidéo de Wilfred Bion disponible sur internet (si jamais vous connaissez d’autres documents vidéos, n’hésitez pas à me le signaler en commentaire).

W.Bion: Sources et bibliographie:

– Principaux ouvrages de Bion

Aux sources de l’expérience (1962), Paris, PUF, 1979

Éléments de la psychanalyse, (1963), Paris, PUF, 1979

Réflexion faite (1967), Paris, PUF, 2001

Une mémoire du futur , 2 tomes, Lyon, Césura, 1989

-Articles

Fognini, Mireille. « Perspectives et apports de Bion au travail clinique », Le Coq-héron, vol. no 177, no. 2, 2004, pp. 144-160.

Guignard, Florence. « Bion, un penseur en quête de pensées », Le Coq-héron, vol. 216, no. 1, 2014, pp. 17-28.

Hochmann, Jacques. « Wilfred Bion, philosophe des sciences », Revue française de psychanalyse, vol. vol. 75, no. 3, 2011, pp. 869-891.

Korff-Sausse, Simone. « Bion, une psychanalyse sans mémoire », Revue française de psychanalyse, vol. vol. 80, no. 2, 2016, pp. 374-385.

Mellier, Denis. « La fonction à contenir. Objet, processus, dispositif et cadre institutionnel », La psychiatrie de l’enfant, vol. vol. 48, no. 2, 2005, pp. 425-499.

– Ouvrages sur l’oeuvre de Bion:

Schmid-Kitsikis, Elsa, Wilfred R. Bion, Paris, PUF, 1999

Grinberg L., Sor D., Tabak de Bianchedi E., Introduction aux idées psychanalytiques de Bion.

Geissmann, Nicolas. Découvrir W.R. Bion. Explorateur de la pensée. ERES, 2001

vincent Joly
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Présentation de la pensée psychanalytique de Wilfred Bion

7 thoughts on “Présentation de la pensée psychanalytique de Wilfred Bion

  • 15 septembre 2008 at 13 h 35 min
    Permalink

    Merci pour la publication de cet article, clair et intéressant, qui donne envie d’en savoir davantage.
    J’ai voulu le proposer sur Psychoring car je n’y ai trouvé que celui de Duarte Rolo, mais après avoir lu l’hommage à Philautarchie, je me suis dite que vous ne l’aviez peut-être pas déjà proposé en raison du fait que vous n’en étiez pas l’auteur. Mais wikipedia m’a permis de le découvrir, comme de nombreuses autres personnes j’imagine. =)
    Une petite question: j’ai noté la référence en fin de l’article de Duarte Rolo mais auriez-vous une suggestion quant aux livres de Bion pour une première approche de son oeuvre ?

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  • 1 octobre 2008 at 12 h 14 min
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    Alors, ça dépend de ce qui t’intéresse:
    – si c’est les groupes « Recherches sur les petits groupes » est un classique et pas trop dur à lire.
    – « Réfléxion faite » regroupe plusieurs articles sur la question de la psychose très intéressants.
    – Je n’ai jamais lu « Aux sources de l’expérience » mais il me semble que c’est un de ces ouvrages importants aussi.

    Je pense que au fur et à mesure que tu découvriras ses oeuvres tu pourras après t’orienter vers ce qui te plaira le plus.

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  • 1 octobre 2008 at 13 h 59 min
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    Merci pour ces indications. Je suis davantage intéressée par l’approche des psychoses, j’irai vers Réflexion faite dans un premier temps je pense.

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  • 9 novembre 2008 at 18 h 45 min
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    C’est très clair,
    Grâce à vous, je comprends un peu mieux les concepts de Bion.
    Merci
    V Brebion, psy scolaire en formation.
    (Je fais un mémoire sur les liens entre premières relations mère/enfant et difficulté scolaire.)

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  • 30 avril 2024 at 11 h 15 min
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    Rien ne vaut une analyse avec un « Bionnien ». En attendant… je vous conseil l’ouvrage collectif sous la direction de Claudio Neri : Lire Bion ( erès). Un travail approfondi de la pensée bionnienne.

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