Si l’expression « point Godwin » est passé à la postérité sur internet ces dernières années, son sens n’est pas toujours si clair.
Essayons donc de voir ensemble ce dont cette expression est le nom.
La « loi de Godwin » : définition
La « loi » de Godwin a été énoncée ironiquement par un jeune avocat de new York, Mike Godwin, en 1990 de la manière suivante :
“Plus une discussion en ligne dure longtemps, plus la probabilité d’y trouver une comparaison impliquant les nazis ou Adolf Hitler s’approche de 1.”
Une loi qui n’en est pas une
La « loi de Godwin » n’en est bien sûr pas une au sens strict du terme. Il s’agit plutôt d’un constat émis sur la manière dont se déploient les échanges sur internet. Il souligne la tendance à remplacer les arguments par des analogies extrêmes et provocatrices.
Sa forme paradigmatique consiste à comparer le point de vue de l’interlocuteur avec une opinion nazie ou à traiter son interlocuteur de nazi.
Cette simple remarque a peu à peu été popularisée sur les forums internet jusqu’à devenir un « même » très fréquent sur internet, manière de pointer la dérive d’une discussion ou d’un échange dans les médias ou les réseaux sociaux.
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Le Point Godwin
Lorsqu’une discussion sur un sujet quelconque finit par aboutir à une telle comparaison, on dit qu’elle atteint « le point Godwin ».
Le point Godwin est considéré comme le moment où la discussion atteint une forme d’acmé des arguments sophistiques ou de mauvaises foi. On estime alors qu’il est temps de clore le débat, dont il ne sortira sans doute plus rien de pertinent.
Présentation du point Godwin par « La Tronche en biais »
La Chaine de vulgarisation scientifique « La tronche en biais », présente le point Godwin dans cette vidéo au ton léger mais très juste et intéressante sur le fond.
La Reductio ad Hitlerum, ancêtre du point Godwin
Ancêtre du point Godwin, la Reductio ad Hitlerum est une expression sarcastique désignant le procédé rhétorique consistant à disqualifier les arguments d’un adversaire en les associant à Adolf Hitler.
L’expression a été formulée en 1953 par le philosophe Leo Strauss dans son livre Natural Right and History.
Il s’agit d’une forme particulièrement du procédé sophistique que l’on nomme déshonneur par association qui consiste à réfuter la point de vue d’un interlocuteur en l’associant à une personne ou un groupe que l’on juge méprisables.
Morale et point Godwin
Le philosophe François De Smet propose, dans son ouvrage Reductio ad Hitlerum: une théorie du point godwin, de prendre au sérieux cette notion et de chercher ce qu’elle dit quant au fond de nos représentations sociales.
Pour le philosophe, la popularité du point Godwin n’est pas un hasard. Il est selon lui le signe d’une époque n’ayant plus de boussole éthique et de notre incapacité à désigner le Mal avec des valeurs morales et des repères éthiques qui ne soient pas amarrés à l’expérience concrète de Histoire. En effet, l’expérience du Mal que représente l’époque nazie constitue selon lui une forme de boussole morale, « notre dernière certitude métaphysique ».
Comme l’explique François de Smet : « la démonétisation de la plupart des idéologies et l’incapacité de nous doter de références universelles et indiscutables du bien, de la vérité ou de la justice renforcent la nécessité d’être au moins au clair avec une boussole du mal forgée par la crue nécessité de l’expérience – voilà à quoi sert Hitler dans une période aussi dépourvue de gouvernail ».
La popularité de la loi de Mike Godwin est donc un révélateur parmi d’autres de la fragilité de notre société selon le philosophe. Elle témoigne, par ailleurs, « de notre propension à refouler une tendance humaine lourde et enfouie à aimer malgré nous la force, la consistance et le pouvoir dont les régimes totalitaires axées sur la volonté de puissance constituent les effrayants paroxysmes. »
(voir l’article du Huffingtonpost pour en savoir plus)
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La référence au point Godwin, loin d’être anecoditque, ferait donc signe vers ce rapport à la force et à la violence refoulé mais toujours agissant dans nos sociétés modernes. Publiées en 2014, à une époque où internet était encore vu comme un eldorada démocratique, les réflexions de F. de Smet résonnent assez justement avec l’actuelle fureur dont semble parfois s’embraser nos agoras virtuelles.
Reductio ad Hitlerium : un entretien avec F. de Smet
Dans cet entretien donné pour la librairie bordelaise Mollat, le philosophe François de Smet explique la manière dont il a pensé le point Godwin dans son ouvrage Reductio ad Hitlerium.
Pour conclure, si le point Godwin est passé à la postérité sur internet de manière humoristique, sa popularité n’est pas pour autant insignifiante.
Elle témoigne de l’importance sur internet:
-des sophismes et en particulier des attaques personnelles dans les débats.
-du surgissement rapide de l’agressivité verbale dans un contexte où les intentions et l’humanité de l’interlocuteur sont plus difficiles à saisir.
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