L’infobésité ou la surcharge informationnelle

« L’une des maladies de notre époque est la multiplicité des livres. Ils surchargent tellement le public que celui-ci est incapable de digérer l’abondance de matières oiseuses quotidiennement éclose et répandue dans le monde »

Barnabe Rich, 1613

Si l’information a longtemps un bien précieux, réservé à un élite, la société moderne et les nouvelles technologies liées à internet ont changé la donne. Le manque est devenu excès, créant de nouvelles difficultés. Pour décrire ce renversement récent, les neuropsychologues et sociologues parlent de « surcharge informationnelle » ou d’ « infobésité ».

Voyons donc dans cet article le sens de cette notion et la manière dont elle permet de repenser notre rapport au travail et à l’information.

media : surcharge informationnelle

Qu’est-ce que l’infobésité ?

La surcharge informationnelle ou infobésité désigne l’excès d’informations qu’une personne ne peut traiter ou supporter sans nuire à elle-même ou à son activité.

La surcharge informationnelle est liée aux moyens modernes de communication notamment dans le monde du travail. Elle est prise de plus en plus au sérieux ces dernières décennies.

Origine théorique

La surcharge informationnelle a d’abord été théorisé dans les années 1960 par l’économiste Bertram Myron Gross. Mais c’est surtout l’ouvrage d’Alvin Toffler Future Shock, publié en 1970, qui l’a fait connaître au plus grand nombre. 

Toffler estimait, de manière assez prophétique, qu’à l’avenir l’excès d’information par rapport à nos capacités à la traiter générerait un stress et une désorientation importantes.

En France également, certains auteurs ont senti très tôt l’impact que les nouvelles technologie risquaient d’avoir sur nos capacité d’attention. Ainsi, Edgar Morin parlait dès 1981 de nuage informationnel, déclarant :

« Il est étonnant que l’on puisse déplorer une surabondance d’information. Et pourtant, l’excès étouffe l’information quand nous sommes soumis au déferlement ininterrompu d’évènements sur lesquels on ne peut méditer parce qu’ils sont aussitôt chassés par d’autres évènements. Ainsi au lieu de voir, de percevoir les contours, les arêtes de ce qu’apportent les phénomènes, nous sommes comme aveuglés par un nuage informationnel. »

Edgar Morin, Pour sortir du XXème siècle, Nathan, 1981

Depuis une vingtaine d’année, l’essor d’internet, l’échange rapide d’information par mails et les nouveaux médias ont donné une plus grande popularité à cette notion. De nombreuses entreprises prennent conscience des problèmes d’efficience économique qui en découle et les pouvoirs publics eux-mêmes s’en inquiètent.

mail : surcharge

Informations : des chiffres qui donnent le vertige

La quantité d’information produite par nos sociétés modernes qu’il est difficile d’en mesurer l’ampleur. Les chiffres sont si énormes qu’ils semblent dépasser nos capacités à nous les représenter. En voici quelques exemples:

  • 2,5 quintillions d’octets des données sont produites par l’homme chaque jour.

  • 95 millions de photos et des vidéos sont partagées chaque jour sur Instagram.

  • Dans les années 2000, il existait moins de 100000 blogs dans le monde, aujourd’hui on en compte plus de 600 millions, soit 6000 fois plus.

  • 306.4 milliards de mail sont envoyés dans le monde chaque jour en 2020

  • 600.000 heures de vidéos sont mis en ligne chaque jour sur Youtube

  • 2,2 millions de livres sont publiés chaque année

Mécanique de la surcharge

Comment notre cerveau finit-il par être débordé par les informations ? Les chercheurs en psychologie cognitive et sciences de l’information se sont penchés sur cette question et ont élaboré des modèles pour y répondre. Le chercheur André Tricot distingue ainsi deux grands types de surcharge en fonction de la pertinence des informations disponibles :

-Surcharge d’informations non pertinentes

Si les informations reçues ne sont pas pertinentes, elles vont générer du bruit informationnel. Le traitement va ainsi entraîner une perte de temps et une dispersion de l’attention.

– Surcharge d’information potentiellement pertinentes

Si les informations sont nombreuses mais potentiellement pertinentes, les problèmes ne seront pas les mêmes. Dans ce cas, le sujet doit réussir à hiérarchiser l’information. Ce travail de tri et de hiérarchisation est coûteux à la fois en termes de temps et d’énergie.

infobésité

La surcharge informationnelle dans le monde travail

La notion de surcharge informationnelle a d’abord été théorisé dans le monde du travail en particulier dans le travail des cadres.

D’après Caroline Sauvajol-Rialland, maître de conférences à Sciences Po Paris, 74 % des managers disent souffrir de surcharge informationnelle et 94 % d’entre eux pensent que la situation ne va pas s’améliorer.

Au cours de l’année 2020, chaque jour, 306 milliards de mails professionnels ont été envoyés en moyenne dans le monde. Vu au départ comme un moyen de gagner du temps, le flux d’information lié au mail s’est transformé en vrai problème à gérer et en une cause de surmenage. Les employés qui utilisent leurs ordinateurs sont ainsi interrompus ou distraits toutes les dix minutes en moyenne.

Comme l’explique Caroline Sauvajol-Rialland : « si l’infobésité est le symptôme de quelque chose, c’est celui d’un malaise au travail. Un malaise lié à l’obligation de connexion permanente à son environnement de travail… Nous vivons dans l’interpellation permanente. C’est une nouvelle contrainte. […] C’est une nouvelle forme de servage moderne »

voir l’entretien sur Culture-Rp

Surcharge informationnelle dans la vie privée et la vie publique

L’impact de l’infobésité sur nos vies ne se limite pas au monde du travail. L’excès d’information vient nous toucher dans notre sphère privée à travers les publicités, la télévision, Internet, la presse, les lettres, les brochures… On retrouve cette sur-stimulation informationnelle dans l’espace social à travers les panneaux publicitaires, vitrines, flyers, etc.

Sans que nous en ayons toujours conscience, notre existence se déploie dans un espace surchargé d’informations à l’intérieur duquel notre cerveau est sans cesse sollicité afin de trier et de sélectionner les messages auxquels il convient de s’intéresser. Comme le dit le biologiste français Pierre Joliot : “Face à la croissance explosive des techniques de communication de l’information, les capacités de notre cerveau d’acquérir, de stocker, d’assimiler et d’émettre de l’information sont restées inchangées.”


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Valeur de l’information

L’excès d’information disponible a également un autre effet : l’information elle-même perd de sa valeur. En effet, comme l’écrit David Shenk dans Data Smog, Surviving the Information Glut, publié en 1998 :« L’information, qui autrefois était aussi rare que le caviar, est désormais surabondante et de consommation courante, autant que les pommes de terre ».

On assiste ainsi depuis la fin du Xxe siècle a un retournement étonnant et fondamental dans notre rapport à l’information : l’attention et la réception sont aujourd’hui des biens plus rares et plus précieux que l’information

infobésité

Pour aller plus loin:

Apocalypse cognitive, Gérald Bronner

 

L’émission de France Culture, La Grande table des idées reçoit le sociologue Gérald Bronner. Il y évoque son ouvrage Apocalypse Cognitive dans lequel il alerte sur les effets de la surcharge d’information liée aux nouvelles technologies de l’information.

L’infobésité, TEDX par Caroline Sauvajol-Rialland 

Dans cette conférence Tedx, Caroline Sauvajol-Rialland, auteure d’Infobésité : Comprendre et maîtriser la déferlante d’informations, développe de manière claire et synthétique les enjeux liées à l’infobésité.

Sources et bibliographie:

-Articles

Lesca, Humbert, Kriaa-Medhaffer, Salima, Casagrande, Annette, « La surinformation causée par l’Internet : Un facteur d’échec paradoxal largement avéré : Veille stratégique – Cas concrets, retours d’expérience et piste de solutions », La Revue des Sciences de Gestion, 2010/5-6 (n°245-246), p. 35-42

Papp, Alizé, « L’infobésité, une épidémie à l’âge des nouvelles technologies de l’information et de la communication ? », Regards croisés sur l’économie, 2018/2 (n° 23), p. 105-113

Vulbeau, Alain, « Contrepoint – L’infobésité et les risques de la surinformation », Informations sociales, 2015/5 (n° 191), p. 35

 

-Ouvrages

Bronner, Gérald, Apocalypse cognitive, Puf, 2020.

Sauvajol-Rialland, Caroline, Infobésité, comprendre et maîtriser la déferlante d’informations, Vuibert, 2013.

Sauvajol-Rialland, Caroline, Mieux s’informer pour mieux communiquer, Dunod, 2009.

Shenk, David, Data Smog, Surviving the Information Glut, HarperOne, 1998.

vincent Joly
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