Transfert et supervision : les processus parallèles

L’analyse du transfert et du contre-transfert est une des grandes dimensions du travail en supervision. Une des manières de l’aborder consiste en l’étude d’un phénomène découvert par le psychanalyste Harold Searles et assez peu connu des thérapeutes : les processus parallèles.

La notion de processus parallèle désigne le fait qu’il existe parfois une ressemblance, un parallélisme entre ce qui se joue entre le patient et son thérapeute d’une part, et entre le thérapeute et son superviseur d’autre part.

Ce phénomène est souvent perçu et utilisé dans les supervisions mais sa théorisation reste souvent en arrière-plan.

Voyons donc ensemble ce dont il s’agit dans cet article en nous appuyant notamment sur un ouvrage passionnant de Leon Grinberg : Qui a peur du (contre-) transfert ?

supervision et reflet
Les processus parallèles ou la supervision comme reflet

Origine de la notion de processus parallèles

En 1955, Harold Searles parle, dans The informational value of the supervisor’s emotional experiences, d’un phénomène qu’il nomme processus de reflet (« reflection process »).

Selon lui, la relation entre le patient et le thérapeute se reflète fréquemment dans la relation entre le thérapeute et le superviseur. Ce dernier éprouve ainsi différentes réactions émotionnelles qui ressemblent à celles qui se déploient entre le patient et le thérapeute.

C’est Thomas Hora qui utilisera le premier le terme de processus parallèle en 1957. Par la suite cette notion sera utilisée en psychanalyse mais connaîtra également des rejetons dans d’autres théories comme en systémie à travers notamment la notion de résonnance développé par Mony Elkaïm en 1995, ou en analyse transactionnelle à travers la notion plus large de processus de groupe.

Définition

Le psychanalyste américain Wolkenfeld définit les processus parallèles comme :

« Un système multidirectionnel de représentations dans lequel les événements psychiques majeurs, tels les schèmes de comportements, les affects, les conflits, etc. inhérents à une situation dyadique de thérapie et de supervision, sont repris dans les situations de supervision et de thérapie. »

(Wolkenfeld, F. (1990). The parallel process phenomenon revisited: Some additional thoughts about the supervisory process. In R. C. Lane (Ed.), Psychoanalytic approaches to supervision)

Pour le dire autrement, la dynamique relationnelle et émotionnelle en supervision va fonctionner comme un reflet de la thérapie. Ainsi, les effets de transfert ayant eu lieu dans la thérapie pourront parfois se retrouver de manière homologue dans la séance de supervision, comme dans des poupées russes.

Comme l’écrit Grinberg, le thérapeute « agit avec le superviseur le même conflit inconscient qu’il vit avec son patient ou que son patient a avec lui » (Grinberg, op.cit., p.76).

Processus parallèle et contre-transfert

A travers les processus parallèles, la prise en considération des mouvements émotionnels au sein de la supervision va donner des indications sur ce qui se joue dans la psychothérapie. L’analyse des processus parallèle vient ainsi compléter l’analyse de la dynamique transféro-contre-transférentielle. Elle constitue un outil supplémentaire dans la perception et la compréhension des mécanismes émotionnels et transférentiels à l’œuvre dans la thérapie.

Leon Grinberg (op.cit. p.76) souligne ainsi, par exemple, que les thérapeutes commencent souvent la supervision « par un commentaire banal sur le temps, un problème rencontré dans la circulation, quelque chose qui s’est passé dans le séminaire, un épisode familial concernant l’un de leurs enfants, etc ».

Selon, lui, « très souvent, ces commentaires ont la valeur d’une sorte d’association libre, indirectement liée au thème principal du matériel qui est apporté en supervision. De manière inconsciente, ils ont pu capter des aspects latents et essentiels du matériel qu’ils n’ont pu repérer sous forme manifeste. En explicitant cette situation chaque fois qu’elle se présente, on leur permet de gagner en confiance et d’aborder plus directement les contenus ainsi découverts ». 

Exemples cliniques

Leon Grinberg, dans Qui a peur du (contre-) transfert ?, donne deux exemples cliniques qui me semblent particulièrement parlant afin de mieux comprendre le fonctionnement et les enjeux des processus parallèles.

Résonnance et abandon

« Une candidate intelligente, qui avait une très bonne relation avec sa superviseuse, apporta le matériel d’une patiente borderline, extrêmement destructrice, et qui avait de sérieux problèmes d’acting-out. La candidate commença la séance de supervision par un soupir démonstratif, parlant à voix basse, d’un air détaché. Le matériel était intéressant, et la superviseuse se trouva amenée à intervenir activement, contre son style habituel, suggérant diverses idées à la candidate. Cette dernière écoutait sans grand enthousiasme et sans faire de commentaire. La superviseuse se sentit mal à l’aise et perçut, dans son contre-transfert, un sentiment d’abandon. Elle se décida à communiquer ces sensations à la candidate, qui répondit immédiatement en disant que c’était précisément ce sentiment d’abandon qu’elle avait ressenti avec sa patiente. La patiente avait apparemment provoqué chez sa thérapeute le désarroi que celle-ci induisait maintenant chez la superviseuse, donnant lieu à un processus parallèle. » (p.72)

Somnolences en cascades

« Un superviseur, alors qu’il écoutait le matériel de la séance d’un patient borderline qu’un étudiant assez expérimenté lui lisait, commença à ressentir une somnolence qui allait en augmentant à mesure que la lecture se poursuivait. Il ne reconnaissait aucune raison personnelle qui aurait pu expliquer une telle somnolence […] Au vu de la bonne relation qu’il avait avec l’étudiant, il décida de lui communiquer ce qui lui arrivait. Celui-ci réagit avec beaucoup d’intérêt, répondant qu’il lui était arrivé quelque chose de similaire avec le patient pendant plusieurs séances où il avait dû lutter contre la somnolence, et que, précisément, à la moitié de la séance qu’il était en train de lire, lui-même s’était trouvé profondément endormi. Apparemment l’étudiant avait eu besoin de provoquer chez le superviseur, par son identification projective, ce que le patient avait projeté en lui, comme une manière de lui transmettre ce problème technique particulier, pour que le superviseur l’aide à le résoudre. Il s’agit parfois d’une sorte de « réaction en chaîne ». » (p.86)

Source de l’article:

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Cet article est tiré de l’ouvrage de Leon Grinberg :

Qui a peur du (contre-) transfert?, Ithaque,  2018

couverture Grinberg qui a peur du contre transfert
vincent Joly
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