L’alliance thérapeutique occupe une place importante dans la compréhension des psychothérapies depuis une cinquantaine d’années. Élément essentiel de toutes les thérapies quel que soit leur orientation, l’alliance joue notamment un rôle essentiel lors des premiers entretiens.
Nous allons essayer dans cet article de réfléchir à son rôle dans les thérapies ainsi qu’à la perception de l’alliance du point de vue du patient mais aussi du thérapeute.
Cet article est inspiré d’un chapitre de Construire la relation thérapeutique, ouvrage que nous avons rédigé en 2013 avec Pierre Gaudriault.
L’alliance thérapeutique : un facteur commun à toutes les thérapies
Origine de la notion d’alliance thérapeutique
En 1979, le chercheur Edward Bordin, constatant la grande variété des méthodes psychothérapiques, s’est efforcé de comprendre ce qu’elles ont de commun quand elles réussissent à répondre à la demande du patient. Il a proposé que l’alliance de travail soit le concept clé du processus de changement au cours de la thérapie.
Consulter l’article d’Edward Bordin
Comme on va le voir, l’alliance n’est pas thérapeutique en soi. Elle peut plutôt être vue comme le socle qui permet de construire la thérapie.
Tout en rapportant l’origine de cette notion à la pratique analytique, Bordin a estimé qu’elle pouvait être généralisée et s’appliquer à toute forme de relation dans laquelle un individu demande de l’aide à un autre et donc à toutes méthodes psychothérapiques. Selon lui, la force de la coopération établie entre le patient et le thérapeute a plus d’importance pour la réussite du traitement que les modalités particulières de la thérapie. C’est ce que montre, dès cette époque, une étude réalisée par Horwitz qui compare des thérapies d’orientation analytique et des psychanalyses. L’étude conclue qu’il n’y a pas de différence marquée selon le mode de traitement, mais que, dans l’un ou l’autre cas, l’alliance thérapeutique a été le principal véhicule du changement.
L’alliance serait donc le fameux facteur commun, « non reconnu », qu’avait décrit par Rosenzweig en 1936 dans l’énigme du Dodo bird verdict. Rappelons que Rosenzweig essayant de comparer l’efficacité de différentes formes de thérapies était parvenu à la conclusion qu’elles étaient toutes aussi efficaces les unes que les autres. Le facteur permettant d’expliquer la réussite d’une thérapie n’était pas, contrairement à ses attentes, le type de thérapie utilisé mais un énigmatique facteur commun à toute les techniques thérapeutiques. Reprenant un passage d’Alice aux pays des merveilles, il donnait à son constat le nom de « verdict du Dodo » (Dodo bird’s verdict).
Le verdict du Dodo
Dans Alice au Pays des Merveilles, le dodo organise une course pour voir lequel des animaux parviendra le mieux à se sécher et constate que tous ont réussi à le faire, chacun à sa façon. Rosenzweig a fait l’hypothèse qu’il existe de la même façon, dans toute thérapie sérieuse, un facteur commun qui la rend efficace.
L’alliance thérapeutique : définition et composantes principales
Peu à peu, de nombreuses études vont montrer que la qualité de l’alliance a une grande influence sur l’issue d’une psychothérapie. En effet, l’alliance témoigne d’un accord entre la demande du patient et la proposition du thérapeute et ce, quel que soit le type de thérapie pratiquée : psychanalyse, thérapies cognitivo-comportementales, thérapies humanistes, etc.
Dans son article, E.Bordin distingue trois composantes à l’alliance de travail :
- L’accord entre le patient et le thérapeute sur le but de la thérapie
- L’accord sur les moyens d’y parvenir
- L’existence d’un lien personnel entre le patient et le thérapeute
Bordin conclut donc sa réflexion en recommandant aux psychologues d’orienter leurs évaluations pré-thérapeutiques vers l’estimation de la qualité de l’alliance plutôt qu’en rester à l’examen classique de la personnalité qui n’a souvent aucune incidence pratique sur le choix de la thérapie.
Qu’est-ce que l’alliance thérapeutique ?
Questionnaires et échelles de mesure
Si l’alliance joue un rôle essentiel, encore faut-il des moyens adéquats pour évaluer cette l’alliance. C’est ainsi que des échelles de mesure ont été constituées, avec le souci de tenir compte du caractère « co-construit » de l’alliance, c’est-à-dire, aussi bien de la contribution du patient que de celle du thérapeute, qui sont en interaction.
La plupart des thérapeutes n’utilisent pas dans leur pratique de telles échelles qui servent surtout pour les recherches. Néanmoins, il peut être utile de les étudier car cela permet de comprendre en quoi consiste d’une manière plus concrète et comment on peut la définir.
Comme on va le voir, chaque échelle de mesure témoigne d’un certain regard porté sur l’alliance et sur la manière dont on peut la caractériser.
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L’alliance aidante
Luborsky propose, à partir de 1976, un questionnaire d’alliances aidantes qu’il décrit comme une des composantes de l’alliance thérapeutique. Il distingue, selon les phases de la thérapie, deux types d’alliance « aidante » :
Une alliance de « type 1»
Elle est plus évidente en début de thérapie et semble plutôt être déterminée par la possibilité de contenance offerte par le thérapeute
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Une alliance de « type 2 »
Elle est plus spécifique des phases tardives du traitement : « dans le sens de travailler ensemble dans un combat contre ce qui entrave le patient », « dans une responsabilité partagée pour atteindre les buts du traitement » (Luborsky, 1976).
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L’échelle d’alliance aidante a été révisée (Luborsky & al., 1996) pour limiter les items qui se réfèrent trop explicitement à l’amélioration et en inclure d’autres formulés négativement, par exemple : « Les procédures employées dans ma thérapie ne correspondent pas à mes besoins ».
De nouveaux items sont introduits, ils concernent notamment:
- l’effort de collaboration entre le patient et le thérapeute (« le thérapeute et moi nous avons des échanges significatifs »)
- la perception du thérapeute par le patient (« parfois je me méfie du jugement du thérapeute »)
- la motivation du patient (« je veux vraiment travailler sur mon problème »)
- la perception des sentiments du thérapeute par le patient (« je crois que le thérapeute m’apprécie comme personne ») sont introduits.
L’alliance de travail
La Working Alliance Inventory (Horvath & Greenberg, 1989) comprend trois dimensions qui correspondent aux trois composantes de décrite par Bordin:
- l’accord sur la tâche
- l’accord sur le but
- le développement du lien
Il existe une version pour le patient et une pour le thérapeute. Des études ont montré ‘un bon score à cette échelle était plus souvent associé à des thérapies décrites par la suite par les patients comme réussies.
Pour la WAI, voici deux exemples d’items de la version patient :
« – Mon thérapeute et moi, nous nous entendons sur ce que j’aurai à faire en thérapie en vue de m’aider à améliorer ma situation.
– Mon thérapeute et moi avons des opinions différentes quant à la nature de mes problèmes ».
Voici deux exemples de la version thérapeute :
-« Nous nous entendons sur ce qui est important de travailler en thérapie. – Mon client et moi avons des opinions différentes quant à la nature de ses problèmes ».
L’alliance dans la CALPAS
Dans la California Psychotherapy Alliance Scales (CALPAS) de Marmar C.R., Gaston L. (1989) l’alliance est évaluée du point de vue du patient (Calpas-P), du thérapeute (Calpas-T) et d’un observateur extérieur au traitement (Calpas-R). Ces trois versions de l’échelle comprennent chacune quatre sous-échelles : la capacité de travail du patient, son engagement dans la thérapie, le consensus patient-thérapeute sur la stratégie de travail, l’implication et la compréhension du thérapeute.
Pour la CALPAS, voici deux exemples d’items pour la version patient :
-« Avez-vous été tenté de mettre fin à la thérapie lorsque vous étiez fâché(e) ou déçu(e) ?
– Vous êtes vous senti(e) accepté(e) et respecté(e) pour ce que vous êtes par votre thérapeute ? »
Voici deux exemples pour la version thérapeute :
« – Le client a révélé par lui-même ses pensées et ses sentiments.
– Le client et le thérapeute partageaient la meme idée sur la façon de procéder en thérapie. »
D’autres formes de la CALPAS ont été construites pour la thérapie de groupe et pour la thérapie d’enfant. Dans ce dernier cas, il existe une version pour l’enfant lui-même et une version pour ses parents.
Voici deux exemples de cette version enfant :
« – Quand je suis avec mon thérapeute, je souhaite que la séance s’arrête.
– Je dis des secrets à mon thérapeute ».
Voici enfin deux exemples de la version parents :
« – Est-ce que les commentaires du thérapeute vous conduisent à croire qu’il place ses besoins avant ceux de votre enfant ?
– A quel point ressentez-vous que vos propres efforts et ceux du thérapeute permettront de surmonter les principaux problèmes avec votre enfant ? »
La structure de la version enfant est la même que celle des adultes (capacité de travail de l’enfant, engagement dans la thérapie, consensus enfant-thérapeute, implication et compréhension du thérapeute).
Conclusion: Alliance thérapeutique et processus thérapeutique
De nombreuses études réalisées avec ces échelles depuis plusieurs dizaines d’années ont montré que la qualité de l’alliance avait une grande influence sur la réussite de la thérapie. Une alliance thérapeutique de qualité est donc de bon augure quant à la suite du processus thérapeutique (voir par exemple, Wampold, 2001 ; Lambert & Barley, 2002).
Au vu des études, l’alliance thérapeutique prise dans sa globalité paraît avoir plus d’importance que des facteurs partiels comme la chaleur du contact, l’attitude de respect et de compréhension, l’empathie, la sincérité et l’implication dont l’impact a été trouvé généralement plus faible. Ces différents facteurs contribuent certes à l’alliance, mais aucun d’eux n’est suffisant à lui seul pour caractériser une entrée vraiment positive dans la thérapie (Hartley et Strupp, 1983).
Pour aller plus loin
Une conférence sur l’alliance thérapeutique
Voici une conférence très complète et très intéressante sur la notion d’alliance thérapeutique à l’ESAV par Yves de Roten, psychologue et Jean-Nicolas Despland, psychiatre à l’Institut universitaire de psychothérapie.
Bibliographie
-Bordin, E. S. (1979). The generalizability of the psychoanalytic concept of the working alliance. Psychotherapy: Theory, Research & Practice, 16(3), 252–260
-Gaudriault, P., Joly, V. (2013) Construire la relation thérapeutique. Prévenir l’abandon précoce, définir les enjeux du processus thérapeutique. Dunod.
-Horvath, A. O., & Greenberg, L. S. (1989). Development and validation of the Working Alliance Inventory. Journal of Counseling Psychology, 36(2), 223–233
-Luborsky, L. (1976). Helping alliance in psychotherapy. In J. L. Cleghhorn (Ed.), Successful psychotherapy (pp. 92-116). New York: Brunner/Mazel.
-Lambert, M. J., & Barley, D. E. (2002). Research summary on the therapeutic relationship and psychotherapy outcome. In J. C. Norcross (Ed.), Psychotherapy relationships that work: Therapist contributions and responsiveness to patients (p. 17–32). Oxford University Press.
-Luborsky L, et al., The Revised Helping Alliance Questionnaire (HAq-II) : Psychometric Properties. J Psychother Pract Res. 1996 Summer;5(3):260-71.
-Marmar, C. R., Weiss, D. S., & Gaston, L. (1989). Toward the validation of the California Therapeutic Alliance Rating System. Psychological Assessment: A Journal of Consulting and Clinical Psychology, 1(1), 46–52
-Rosenzweig, S. (1936). Some implicit common factors in diverse methods of psychotherapy. American Journal of Orthopsychiatry, 6(3), 412–415
-Wampold, B. E. (2001). The great psychotherapy debate: Models, methods, and findings. Lawrence Erlbaum Associates Publishers.
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