Dernier point de notre dossier sur l’alliance : Quelle est la part de l’attitude et des comportements du thérapeute dans l’alliance de travail précoce dans la thérapie ?
Existe-t-il des caractéristiques ou des modalités relationnelles, permettant à certains thérapeutes de construire plus facilement l’alliance thérapeutique ?
Comme nous allons le voir, les représentations et les croyances du thérapeute jouent un grand rôle dans la mise en place du lien entre le psy et son patient.
Une sous-estimation de la qualité de l’alliance
Il semble d’abord que les thérapeutes ont tendance à sous-évaluer la qualité de l’alliance par rapport aux patients, peut-être du fait de leur moins grande implication émotionnelle. Leur évaluation n’est pas pour autant plus juste puisqu’elle est légèrement moins prédictive des résultats que celle des patients (Waddington, 2002).
Ainsi, pour savoir si une thérapie va bien fonctionner, mieux vaut demander son pronostic au patient qu’au thérapeute. Un constat plutôt logique quand on y songe puisque c’est le patient qui peut choisir de continuer ou d’arrêter, de s’impliquer ou non. Le thérapeute n’est que l’instrument de la thérapie.
Expérience et alliance thérapeutique
D’une façon générale et comme pour les patients, les caractéristiques sociodémographiques du thérapeute semblent avoir peu d’influence sur l’alliance. Mais qu’en est-il de l’expérience des thérapeutes ?
Dans une étude multicentrique de 2001, portant sur 270 patients norvégiens, Hersoug et ses collègues constatent qu’aucune caractéristique professionnelle ni psychologique des thérapeutes n’est nettement reliée à l’alliance précoce, estimée par les patients. En outre, les thérapeutes expérimentés ne paraissent pas capables de conclure une meilleure alliance précoce que les thérapeutes inexpérimentés. Dans cette étude, la majorité des thérapeutes sont d’orientation psychodynamique. Les auteurs se demandent si ce résultat paradoxal n’est pas dû à une mauvaise perception de la neutralité des psychanalystes qui serait considérée par les patients comme un manque d’implication et de soutien. Cette moindre « efficacité » immédiate des thérapeutes psychanalytiques expérimentés a déjà été observée par Svartberg & al.(1991). Il est aussi possible que les thérapeutes expérimentés mettent l’accent sur les résistances et les défenses du patient plus précocement dans le cours du traitement (Henry & Strupp, 1994). Par ailleurs, les thérapeutes moins expérimentés pourraient être plus empressés pour éviter de frustrer les patients ou de heurter leurs sentiments.
Thérapeutes froids et thérapeutes chaleureux
Chaleur ou froideur affective jouent un rôle dans la construction de l’alliance. La froideur du thérapeute est prédictive d’une alliance moins favorable évaluée par les patients et les thérapeutes. Les souvenirs de soins maternels chaleureux sont liés chez les thérapeutes à une alliance précoce de bonne qualité, et aussi dans une certaine mesure chez les patients. Ce résultat est confirmé par des recherches sur l’importance de la chaleur de la relation entre le thérapeute et le patient. Une relation vécue comme plus chaleureuse est souvent associée à une alliance de meilleure qualité (Ackerman & Hilsenroth, 2003).
Bien entendu, chaque thérapeute en fonction de sa personnalité et de sa méthode, instaure une relation plus ou moins chaleureuse. On peut reprendre la typologie de Marc (2002, p.197) qui distingue, d’une part, des thérapeutes plus maternels, plus portés à accompagner le patient dans une régression archaïque et la symbiose, et d’autre part, des thérapeutes plus paternels qui conçoivent leur rôle plutôt dans la frustration, la distance et l’interprétation verbale.
Créer l’alliance thérapeutique : le rôle des croyances partagées
Dernier point, la construction de l’alliance entre patient et thérapeute s’appuie également sur des dimensions plus obscures et plus inconscientes. C’est, par exemple, le cas des croyances partagées sur le sens et le déroulement d’une thérapie.
Une attente croyante partagée entre le thérapeute et le patient quant aux avantages obtenus de la thérapie va avoir tendance à favoriser l’établissement de l’alliance thérapeutique.
La notion d’attente croyante est ancienne, elle correspond à l’effet (plus ou moins magique) que l’on attend d’un traitement. Elle est appliquée en général au patient. Freud la mentionne déjà dans un article de 1890 (O.C. I), comme existant aussi bien dans la croyance religieuse que dans l’attitude du patient envers son médecin.
Plus près de nous, Roustang, en 2000, fait de l’attente une présence attentive partagée, dirigée vers le changement. Le thérapeute propose au patient de se placer dans une position d’attente de la solution de son problème. Mais il doit lui aussi adopter une position semblable qui est, pour sa part, une présence intense à l’autre, une attente soutenue de son changement. « Le temps de l’attente n’est rien d’autre que l’effet du parcours de l’espace relationnel », estime-t-il (p.120).
Roustang voit cette « expectation » (expectancy) comme une croyance de guérison qui a déjà commencé à exister à la fois dans le corps et l’esprit de celui qui y croit. Une telle croyance est confortée par le contexte social de la relation thérapeutique. Il cite Kirsch selon lequel les thérapies cognitivo-comportementales sont plus efficaces que les thérapies psycho-dynamiques ou humanistes essentiellement parce qu’elles sont considérées comme des méthodes de traitement plus modernes. Ce qui compte, conclut Roustang est le rituel social partagé dans lequel s’inscrit la thérapie.
Cette observation peut être généralisée à toutes formes de méthode psychothérapique. Elle vient compléter le « Dodo bird verdict » selon lequel, rappelons-le, toutes les thérapies produisent des effets équivalents si elles sont pratiquées d’une façon sérieuse. La conviction partagée entre le thérapeute et son patient sur l’efficacité de la thérapie proposée serait plus importante que la nature spécifique de la thérapie. Ce serait là la base d’une alliance efficace et pourrait expliquer les résultats de certaines recherches qui montrent l’importance de la similarité de valeurs entre patient et thérapeute (Hersoug & al, 2001). La communauté de pensée entre le thérapeute et le patient serait le moteur principal de la thérapie, quelle que soit la technique utilisée.
Conclusion: l’alliance, un cheminement vers une communauté de croyances
Notons pour finir que le partage sur les enjeux de la thérapie ne s’établit pas dès les premières séances, mais en constitue une étape.
Rappelons cette remarque de Masud Khan selon laquelle Freud « ne tarda pas à découvrir que le patient se méfiait de l’analyste tout comme celui-ci doutait des raisons que le patient mettait en avant pour rendre compte de son mal » (Masud Khan, 1974).C’est donc sur un état de « non-reconnaissance mutuelle » initial, conclut Masud Khan, que se fonde le processus de la cure analytique, qui devrait permettre progressivement de rapprocher les points de vue. Cette situation est probablement transposable à d’autres méthodes psychothérapiques.
Le chemin de la thérapie ne serait donc pas qu’un chemin vers une meilleure compréhension de soi mais également un cheminement vers une communauté de croyances entre patient et thérapeute. Ces théories construites en commun sur la nature de la thérapie participeraient au changement psychique du patient et à la réussite de la thérapie.
Pour aller plus loin:
Une conférence sur le sens de l’alliance thérapeutique avec des patients difficiles
Gérard Ostermann est médecin interniste, psychanalyste et spécialiste des addictions. Il donne ici une conférence sur l’alliance thérapeutique avec les patients alcoolique.
Après un retour sur l’histoire et la définition de l’alliance en thérapie, il montre la manière dont elle peut, concrètement, se construire dans la relation.
Une conférence très intéressante en ce qu’elle reste toujours au plus près de la clinique.
Bibliographie:
-Articles
Ackerman, S. J., & Hilsenroth, M. J. (2003). A review of therapist charcteristics and techniques positively impacting the therapeutic alliance. Clinical Psychology Review, 23(1), 1–33
Henry, W., & Strupp, H., The therapeutic alliance as interpersonal process, Psychotherapy, 31 (1), p.114-123, 1994,
Hersoug, A. et al., Quality of working alliance in psychotherapy: Therapist variables and patient/therapist similarity as predictors, The Journal of psychotherapy practice and research, 10(4), p.05-16, Feb 2001.
Svartberg et al., Comparative effects of short-term psychodynamic psychotherapy: A meta-analysis, Journal of Consulting and Clinical Psychology, 59(5), p.704-714, 1991.
Waddington, L., The Therapy relationship in cogintive therapy : a review, Behavioural and Cognitive Psychotherapy; Cambridge Vol. 30, N° 2, (Apr 2002), p. 179-191.
-Ouvrages:
Edmond, Marc, Le changement en psychothérapie, Dunod, 2002.
Freud, S., Œuvres complètes de Freud: Volume 1, 1913-1914, PUF, 2005
Khan, Masud, Le Soi caché, Gallimard, 1976
Roustang, F., Babin, P., Le thérapeute et son patient, L’Aube, 2000
- mentions légales - 18 octobre 2022
- Aide à l’installation libérale - 18 juillet 2022
- Supervision, intervision, groupe d’analyse des pratiques, : quelles différences ? - 18 juillet 2022