La contre-identification projective est un concept inventé par le psychanalyste argentin Leon Grinberg (1921-2007) que je trouve particulièrement précieux et qui permet notamment de mieux comprendre ce que l’on appelle l’analyse du contre-transfert dans les supervisions.
La contre-identification projective s’inscrit dans le champ plus large de la clinique des fonctionnements psychotiques ou borderline. Il s’agit d’une clinique difficile, mettant l’analyste au prise avec des mécanismes archaïques difficiles à décrire et à mettre en mots. Les analystes ont ainsi formé de nombreux concepts afin de mieux circonscrire les phénomènes qui se jouent dans ces séances.
Définition
La contre-identification projective décrit l’effet sur le thérapeute des mécanismes d’identification projective d’abord décrit par Melanie Klein et les psychanalystes anglais voir cet article pour en savoir plus sur l’identification projective). Comme l’écrit Grinberg :
«Le même patient, du fait de l’usage et des modalités particulières de son mécanisme d’identification projective, pourrait provoquer la même réponse émotionnelle (contre-identification projective) chez des analystes distincts ».
La contre-identification projective n’est donc pas liée à l’histoire spécifique de chaque analyste, comme le contre-transfert tel que le décrit Freud, mais à la puissance des mécanismes inconscients du patients. Ses projections sont telles que l’analyste en est profondément affecté, réagissant pour une part en fonction du rôle qui est projeté sur lui. L’analyste, débordé par l’intensité du mouvement projectif, se sent comme enfermé dans des rôles qu’il ne contrôle et ne comprend pas.
Comme l’explique encore Grinberg (Qui a peur du contre-transfert ?, p.106) :
« La contre-identification projective se produit spécifiquement comme résultat d’une identification projective excessive par l’analysant, qui n’est pas consciemment perçue par l’analyste, lequel se trouve alors passivement « conduit » à incarner le rôle que l’analysant a forcé à l’intérieur de lui, de façon active bien qu’inconsciente ».
Contre-identification projective et contre-transfert
La contre-identification projective s’inscrit dans la continuité des théories de Bion sur le transfert et à la part du transfert liée au fonctionnement du patient lui-même. Comme l’écrit Bion dans Aux Sources de l’Expérience : « La théorie du contre-transfert offre une explication à moitié satisfaisante seulement : elle ne voit dans ces manifestations qu’un symptôme des motivations inconscientes de l’analyste, et laisse donc inexpliquée la contribution du patient ».
En effet, on distingue classiquement le transfert (les mouvements projectifs de l’analysant) et le contre-transfert du thérapeute. Lorsque l’analyste ne parvient pas élaborer les projections de l’analysant, il va avoir tendance à être débordé et à réagir en fonction de son histoire : c’est son contre-transfert. Néanmoins les choses sont un peu plus compliquées et les réactions contre-transférentielles peuvent renvoyer à des phénomènes différents.
Comme l’explique Jean Michel Asan dans la préface de Qui a peur du contre-transfert ? (p.15), la notion de contre-identification projective permet de mieux saisir les deux faces du contre-transfert qui correspondent à deux situations distinctes :
Dans le premier cas, les projections du patients réactivent les conflits et les angoisses propres à l’analyste. Ce phénomène correspond au contre transfert « classique ».
.Dans le second cas, la réponse induite chez l’analyste est principalement due aux objets projetés en lui par le patient. C’est la contre-identification projective.
Le débordement contre-transferentiel n’est donc pas uniquement liée aux « limites » de l’analyste mais peut au contraire être d’une grande aide dans l’évolution de l’analyse avec des patients difficiles.
Exemple clinique
Afin de mieux comprendre la réalité clinique derrière le concept, l’analyste J-M Assan donne un exemple que je trouve très éclairant. Ce dernier reçoit un enfant qu’on rangerait aujourd’hui dans les troubles de la sphère autistique et décrit ainsi le début de la thérapie :
« Séance après séance, le garçon dessinait le même dessin stéréotypé : de minuscules personnages figés, chacun d’une couleur différente, copiés d’un dessin animé, les Power Rangers ? Ce dessin minutieux durait toute la séance pendant que, de mon côté, je luttais contre la somnolence. »
Après plusieurs mois, J-M Assan remarque une chose nouvelle : la mère du patient qui travaille de nuit et vit dans une grande précarité dort quand il ramène l’enfant en salle d’attente.
« Un jour je me suis lancé ; j’ai dit au garçon : « Ta mère dort toujours pendant les séances… C’est comme moi, je m’endors aussi. » Et là, il a levé les yeux vers moi ! Encouragé par ce signe, j’ai poursuivi : « Je me demande comment tu fais pour me faire dormir.. Est-ce que tu fais la même chose avec ta mère, tu l’endors ?… »Mêmes signes d’intérêt de sa part. A partir de ce moment, j’ai ressenti un soulagement, même si je n’y comprenais à peu près rien.
[…] Aujourd’hui je dirais que ce garçon me mettait en effet en état de contre-identification projective : prisonnier d’un rôle qui m’était imposé et qui ne dépendait pas essentiellement de moi – un état de contre-transfert irrépressible que je devais subir jusqu’à pouvoir en élaborer quelque chose de partageable ».
Source de l’article:
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Cet article est tiré de l’ouvrage de Leon Grinberg :
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