En 2004, l’Inserm publie une méta-analyse (une analyse synthétisant de nombreuses recherches) sur l’efficacité comparée de différentes formes de psychothérapies.
Ce rapport, intéressant pour les pistes qu’il ouvrait, a malheureusement donné suite à un débat confus, brouillon et terriblement contre-productif. Les chapelles psychanalytiques et cognitivistes se sont affrontées par articles interposés pour tenter de montrer que leur méthode était la plus efficace.
De nombreux progrès ont été réalisés depuis et permettent de revenir avec le recul du temps sur cette période marquée par les querelles de cloché.
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Le rapport de l’Inserm : une question utile, des conséquences désastreuses
Comparer les thérapies : une piste de recherche en ce début de XXIe siècle
A la fin des années 90, de nombreuses études avaient réussi à démontrer l’efficacité des psychothérapies d’une manière générale.
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Les chercheurs s’intéressant à l’efficacité des psychothérapies se sont donc intéressés à une nouvelle question : quelles sont les thérapies les plus efficaces ?
L’idée était de comparer les différentes méthodes pour voir si certaines étaient plus performantes dans telle ou telle situation.
La question était particulièrement prégnante aux États-Unis car les compagnies d’assurance y remboursent les psychothérapies. Le but des assurances était de trouver la thérapie la plus efficace et aussi la moins chère afin de rembourser cette dernière en priorité. Les études se sont centrées sur les thérapies courtes et très courtes (les thérapies « brèves » et « ultra-brèves ») et parmi celles-ci les thérapies cognitivo-comportementales très en vogue outre-atlantique, à travers une évaluation de type coût-bénéfice qui n’avait rien de déshonorant.
De nombreuses études ont été menées aux résultats contradictoires mais qui semblaient d’abord dessiner certaines tendances. Les premières conclusions étaient les suivantes :
- On peut comparer les thérapies entre elles.
- Les thérapies brèves sont les plus efficaces (cela tombait bien c’était justement la réponse attendue par les compagnies d’assurance).
- Les thérapies cognitivo-comportementales sont les thérapies les plus efficaces (cela tombait bien, les psychologues qui effectuaient les recherches appartenaient très souvent aux écoles de tcc)
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Mais cela n’était qu’un moment de la recherche et la plupart des scientifiques faisaient preuve de prudence dans leurs conclusions. Dès cette époque, ils soulignaient que les écarts d’efficacité entre les différentes thérapies étaient très faibles et que ce critère n’était pas le plus important pour évaluer les thérapies.
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Le rapport de l’INSERM : une synthèse hâtive
Le problème c’est qu’en 2004, l’Inserm a voulu synthétiser dans un rapport l’état du moment de la recherche abandonnant la prudence des études. Comme nous l’écrivions avec Pierre Gaudriault dans un ouvrage intitulé Construire la relation thérapeutique :
« Le rapport de l’INSERM conclut que, sur 16 troubles fréquemment rencontrés en psychiatrie, les thérapies cognitivo-comportementales peuvent être considérées comme efficaces de façon établie dans 15 cas, la thérapie familiale dans cinq cas et la psychanalyse dans un seul cas. Il conclut également que, si l’efficacité de la psychanalyse ne peut pas être prouvée dans 15 des 16 troubles, cela ne signifie pas nécessairement qu’elle est inefficace ». Le raccourci pouvait toutefois s’avérer tentant.
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Querelles de clocher entre psychanalystes et cognitivistes
La publication du rapport de l’INSERM marqua le début d’un débat brouillon dans lequel les psychanalystes s’insurgèrent, déplaçant souvent le débat sur le terrain de l’éthique. A l’inverse, les défenseurs des tcc reprenaient en exagérant les conclusions d’une étude qui leur servit d’argument publicitaire. Les articles furent alors très nombreux et souvent très confus.
Cette vaste querelle montra combien les psychothérapeutes peuvent être narcissiquement attachés à leur école. Persuadés du bien fondé de leurs choix théoriques, ils étalèrent sur la place publique leurs différents, laissant le grand public perplexe et confus.
La psychologie ne sortit malheureusement pas grandie de cette triste parenthèse et de nombreux journalistes grand public ou thérapeutes mal informés en restèrent là et conservèrent la croyance en la supériorité de certaines pratiques thérapeutiques sur d’autres.
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La comparaison entre les thérapies a rapidement montré ses limites
Pendant ce temps, les chercheurs continuèrent leur travail. Ils ont mené d’autres études, ont analysé plus en détail la méthodologie de celles déjà publiées et sont rapidement parvenus à des conclusions beaucoup plus solides et très différentes. Ils ont découvert que :
- Les études qui comparaient les thérapies étaient souvent mal construites
- On ne pouvait pas appliquer la méthode de la « Médecine basée sur les preuves » aux psychothérapies
- En réalité, les principales thérapies étaient toutes aussi efficaces
- Il existait des facteurs qui expliquaient bien mieux la réussite des thérapies (ce que l’on savait déjà) : le lien entre le patient et le thérapeute (alliance), le type de thérapeute etc.
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Les biais du rapport de l’INSERM
En étudiant en détail la méthodologie des études qui comparaient les psychothérapies, les chercheurs se sont rendu compte qu’il existait de nombreux problèmes dans les méthodes utilisées (ce qu’on appelle les « biais ») (voir à ce propos les articles de Thurin ou de Fischman,). Les conclusions du rapport étaient trop hâtives. En reprenant plus rigoureusement les études et en excluant toutes celles qui n’étaient pas scientifiques, les résultats étaient nettement différents.
Les chercheurs pointèrent trois problèmes principaux (ce qu’on appelle des « biais ») :
- l’écart entre les patients retenus dans les études et les patients « réels »
- le biais de publication
- le biais d’allégeance
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Écart entre les études et la clinique « réelle »
De nombreuses études utilisent tellement de critères pour sélectionner les patients qu’ils finissent par ne plus être très représentatifs des patients « réels ». Ainsi, la grande majorité des patients, parfois les 3/4, peut ne pas avoir été retenue.
En effet, les patients qui ont arrêté rapidement sont exclus des conclusions, ceux qui souffrent de plusieurs troubles en même temps aussi (dans la plupart des études comparatives les patients retenus doivent souffrir d’une seule maladie psychique : ils peuvent avoir un toc mais pas un toc et un trouble anxieux par exemple), etc.
Comme l’écrit Claude-Olivier Doron, maître de conférence en histoire et philosophie des sciences à l’Université Paris Diderot, les « faits » décrits par les études comparatives « sont profondément artificiels – et la plupart des chercheurs le reconnaissent sans mal » (lire son article)
C’est ennuyeux mais ce n’est finalement pas le biais le plus problématique.
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Biais de publication
Le biais de publication constitue un des deux plus gros écueils sur lequel s’est échoué le navire de l’Inserm.
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- Les études qui ne « marchent pas », c’est-à-dire qui n’arrivent pas à prouver qu’il existe un écart entre les thérapies ne sont souvent pas publiées…
- Les études portant sur les tcc sont beaucoup plus nombreuses que les autres : la grande majorité des études aux Etats-Unis portaient sur les tcc car les chercheurs qui menaient ces études appartenaient aux écoles de tcc.
- A l’inverse, de nombreux autres courants (psychodynamique, systémique, humaniste etc.) ont longtemps été sous-représentés car les chercheurs n’appartenaient que rarement à ces courants (il y a, en effet, un écart entre la pratique des thérapeutes et celle des chercheurs).
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Les études prouvaient donc que les tcc étaient les plus efficaces simplement par ce qu’elles étaient les plus étudiées. On peut penser que, dans les années 70, le même type d’études aurait prouvé que la psychanalyse était la méthode la plus efficace et, dans 10 ans, que la nouvelle méthode à la mode est la plus performante…
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Biais d’allégeance
Nous arrivons ici au problème principal : de nombreuses études ont pu montrer que lorsqu’un chercheur appartient à une école de psychothérapie, il a tendance à prouver que ce type de thérapie est plus efficace (cf. les articles de Despland et ses collègues en 2006 ou de Luborsky, en 1999).
En effet, le plus souvent on va comparer les thérapies en construisant plusieurs groupes. Par exemple : un groupe de thérapeute tcc, un groupe de thérapeutes psychodynamiques etc.
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Or, dans de nombreuses études, les thérapies « psychodynamiques » ou « humanistes » étaient menées par des thérapeutes tcc ou par des étudiants ou de thérapeutes débutants.
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On se doute alors que les résultats n’étaient plus très fiables.
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Toutes les psychothérapies sont aussi efficaces
Il est apparu assez vite que l’étude de l’Inserm (conduite par des chercheurs appartenant aux écoles de tcc) avait compilé des études qui, dans de nombreux cas, accumulaient ces différents biais : des études très nombreuses allant dans la même direction menées par des chercheurs non-neutres et des experts qui ne l’étaient pas non plus…
Aujourd’hui le regard des chercheurs sur le rapport de l’Inserm est unanime et tous préfèrent tourner la page.
Comme le résume Louise Nadeau, professeure titulaire du Département de Psychologie à l’Université de Montréal :« étude après étude, quelle que soit la psychopathologie étudiée, toutes les approches théoriques mises à l’épreuve s’avèrent à peu près également efficaces »
Pour ceux qui souhaitent en savoir plus, vous pouvez vous référer aux études suivantes :
- Asay, 1999 ; Association des centres en réadaptation en dépendance du Québec, 2010 ;
- Baldwin, et col., 2007 ;
- Barlow, 2004 ;
- Beutler et col., 2003 ;
- Castonguay, 2006 ;
- Ilgen, 2006 ;
- Morgenstern, 2007 ;
- Pilgrim et col., 200
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Il est à noter qu’au moment où, en France, les psychothérapeutes se lançaient dans un débat assez navrant sur la supériorité présumée de telle ou telle forme de psychothérapie, Lambert, professeur à l’université de l’Utah et qui fait référence sur ces questions aux États-Unis avait un point de vue très différent de celui des « experts » de l’Inserm. Pour lui :
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« si l’on examine les études bien construites qui comparent les différentes orientations thérapeutiques, les résultats sont toujours faibles ou négligeables »
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(« When examining these well-designed studies that compare different therapeutic orientations, theses findings are consistently small or negligible », cf.Bergin and Garfield’s Handbook of Psychotherapy and Behavior Change, 2004)
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Évaluation des psychothérapies et de la psychanalyse : un débat peu glorieux aujourd’hui clos
Le débat sur l’efficacité comparée des psychothérapies est aujourd’hui clos d’un point de vue scientifique.
Comme le résume Jean-nicolas Despland, Psychiatre-psychothérapeute, professeur à la Faculté de biologie et médecine de Lausanne, auteur de Quelle psychothérapie pour quel patient ? Données de recherche et problèmes cliniques:
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« Beaucoup des chercheurs qui se sont consacrés à cette question considèrent que partir de l’hypothèse d’une différence substantielle entre des psychothérapies de différentes écoles ayant démontré leurs effets n’a plus de sens et représente une perte de temps et d’argent. »
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La querelle entre la psychanalyse et les tcc montre combien la psychologie peut être l’objet d’intérêts politiques, économiques ou publicitaires.
La confusion des arguments utilisés à l’époque a malheureusement masqué les principaux apports des études sur l’efficacité des psychothérapies que l’on peut rapidement rappeler ici en guise de conclusion :
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- Les thérapies sont efficaces dans leur globalité
- On ne peut pas dire qu’une méthode soit statistiquement plus efficace qu’une autre
- L’alliance thérapeutique, la motivation du patient et l’expérience du thérapeute sont les principaux facteurs qui permettent de prédire la réussite d’une psychothérapie.
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