Étapes du deuil et chansons françaises

Suite à l’article précédent consacré au processus de deuil, je vais en décrire ici les différentes étapes en les illustrant par des chansons françaises. En effet, nombre de ces chansons parlent du deuil et de la souffrance liée à la perte de l’être aimé. On peut constater en regardant les dates allant de 1962 à 2016 que le vécu du deuil fait fi des époques et des modes et que son vécu reste le même.

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Le plus souvent il s’agit de ruptures amoureuses vécues douloureusement.

Cependant on retrouve dans la chanson de Michel Polnareff « J’ai du chagrin Marie » 1968 le chagrin du deuil lié au décès de son ami.

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1.Le choc: « Roule », Soprano

Dans les étapes du deuil, John Bowlby décrit dans un premier temps le choc ou la protestation caractérisés par un sentiment de détresse ou de colère. E Kubler Ross décrit, quant à elle, une phase de sidération, de déni et de colère.

Ainsi la chanson de Soprano « Roule »2016 illustre bien cette phase lorsqu’il dit « Je fais semblant au milieu des gens ». Il décrit l’angoisse « la boule au ventre », le déni partiel et la difficulté à accepter la réalité de la perte: « je refais le monde avec des si ». Le chanteur exprime surtout  sa colère dans le refrain: « J’accélère, majeur en l’air en insultant ta foutu maladie ».

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2. Le sentiment de vide: « Et maintenant », Gilbert Becaud, »Chaque jour de plus », Michel Fugain

Bowlby décrit ensuite une phase où le monde paraît vide et sans signification.

La chanson de Gilbert Becaud « Et maintenant » de 1962 montre ce désintérêt et la perception d’un monde vide de sens, lorsqu’il dit : « que vais je faire de tous ces gens qui m’indiffèrent », « et ce matin qui revient pour rien », « vers quel néant glissera ma vie » ou encore « même Paris crève d’ennui » et « je n’ai vraiment plus rien à faire, je n’ai vraiment plus rien ».

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De même, Elisabeth Kübler-Ross décrit une phase de dépression et de tristesse. Dans la chanson de Michel Fugain « Chaque jour de plus » datant de 1993, lorsqu’il chante « y a plus que du vide à la place » ou encore « s’il ne reste plus que l’absence, à qui veux tu que je pense », on perçoit que tout son monde tourne autour de la personne disparue.

Il exprime également cette sensation d’absence douloureuse lorsqu’il chante « chaque jour de plus est un jour de trop, je plie déjà sous le fardeau ».

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3.Le chagrin et son atténuation progressive: « Chamelet», Amélie les crayons, « J’avais oublié que les roses sont roses », Adamo

Puis les deux auteurs décrivent une réorganisation progressive où le chagrin s’atténue progressivement et la vie reprend son cours.

Dans la chanson d’une chanteuse peu connue, Amélie les crayons, « Chamelet » (2007) cette dernière décrit ses activités très ordinaires qu’elle peut à nouveau faire « j’refais de la cuisine, j’y prends même du plaisir » et dit « je vais mieux, attend moi encore un p’tit peu », ce qui illustre, il me semble, cette distance qui s’installe avec ceux qui ne sont pas endeuillés. Il convient « d’aller mieux » avant de pouvoir être dans la même temporalité que les autres.

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De même la chanson de Salvatore Adamo « J’avais oublié que les roses sont roses »1971 où le chanteur semble sortir de sa torpeur et de sa solitude et redécouvre les plaisirs simples de la vie. Il s’en étonne, ou plutôt semble s’étonner de les avoir à ce point oubliés.

Cela illustre la phase d’acceptation de la perte et le réinvestissement du monde lorsque Salvatore Adamo chante qu’il a « trouvé…un monde où il fait bon vivre, quitte à vivre sans toi ».

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4. Quête de sens et renouveau : « La vie ne vaut rien », Alain Souchon

Une période de quête de sens et de renouveau est décrit par Elisabeth Kübler-Ross et j’estime que la chanson de Alain Souchon « La vie ne vaut rien » 2002, peut illustrer cette quête de sens où « Il a demandé leur avis à des tas de gens ravis ravis, ravis, de donner leur avis sur la vie » et même « est entré comme un insecte sur site d’Internet, voir les gens des sectes ». Et même si, « il a vu manque d’amour, manque d’argent, comme la vie c’est détergeant, et comme ça nettoie les gens », il en conclut que même si tout est éphémère et mortel et que peut être au final « La vie ne vaut rien » et bien les sensations qui le font se sentir vivant lui donne cette certitude que « rien, rien, rien, rien ne vaut la vie ».

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5. La vie retrouvée: « Tout le bonheur du monde », Sinsémilia

Et enfin Elisabeth Kübler-Ross décrit la fin du deuil comme une sérénité et une paix retrouvée, et Anne Ancelin Schützenberger et Evelyne Bissone Jeufroy décrivent dans leur ouvrage qu’alors « on se met à vivre dans l’ici et maintenant : le présent a plus de retentissement que le passé, il devient vivant, dans un allant devenant, un mouvement qui ouvre l’horizon. L’espoir renaît. Si un nouveau projet se dessine, l’individu est capable de le percevoir, d’y adhérer, de s’y projeter et souvent utilement pour les autres. » En effet, lorsque l’on sort du deuil et de la souffrance qui l’accompagne on est moins préoccupé de soi-même et l’on peut davantage penser aux autres, faire lien et partager, c’est pourquoi la chanson du groupe Sinsémilia « Tout le bonheur du monde », sortie en 2004, illustre pour moi la vraie sortie du deuil.

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Il transparaît dans cette chanson une conscience de la fragilité de la vie ce qui présuppose la traversée d’une épreuve « Puisqu’on n’contrôle pas votre destin, que votre envol est pour demain » ou encore « Puisque on sera pas toujours là, comme on le fut aux premiers pas » et enfin en dépit de tout cela :

« On vous souhaite tout le bonheur du monde
Pour aujourd’hui comme pour demain
Que votre soleil éclaircisse l’ombre
Qu’il brille d’amour au quotidien ».

Cécile Blanchard
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